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Fantômes

Fantômes est une installation -que j’ai commencé à développer dès 2003-  composée de photographies, de sculptures textiles, de pièces de tissus brodés, de vêtements mis en scène dans l’espace. À travers cette installation, je veux parler du sentiment de perte :  la perte des illusions, la perte de soi, le deuil du fantasme de la famille idéale, la disparition de l’être aimé.

 

J’ai photographié les vêtements de mon fils bébé et à la série, j’ai mêlé des vêtements qui m’ont appartenu petite fille. Ces vêtements blancs sont comme des mues, des fantômes de ce qui n’existe plus et parlent du passage du temps.

Je mets en vis-à-vis le fils et la mère sur le même plan pour parler du temps qui passe et de la perte.

 

Les photographies des vêtements, de grandes dimensions (120 x 120 cm), encadrées de bois gris, sont posées à même le sol, contre le mur, comme des stèles funéraires.

 

Au-dessus de chaque photographie, il y a un titre. Ce sont des titres à jeux de mots comme des lapsus.

Au-dessus de la mère :

a mere

On peut entendre amère  ou à mère : comme un hommage posthume.

 

Au-dessus de l’enfant :

l’infans.

Étymologiquement : celui qui ne parle pas.

Je joue avec les mots et les couleurs. Les lettres sont de la couleur  grise et blanche.

Le gris parle de la mélancolie. Le blanc induit la régénérescence.

 

Pour parler de la troisième personne qui constitue cette famille « fantôme », l’absent :

im pair

On entend un père ou le contraire d’un père.

Impair, préfixe privatif comme impossible ou imparfait.

Comme il n’y a pas d’image pour le représenter, sont posés sur un socle une suite de petits carnets fabriqués dans du papier toilette, un papier ouaté triple épaisseur, dans lesquels sont répertoriées toutes les petites phrases que je consigne dans mon journal intime, tous ces mots, comme issus d’une écriture automatique, qui tournent de manière obsessionnelle dans ma tête. Les phrases sont écrites à la mine de plomb dont la particularité est de pouvoir être effacée avec une gomme ordinaire sans laisser de trace sur le papier. La couleur grise évoque la tristesse, la mélancolie, l’ennui et la vieillesse.

 

Le papier est  à la fois un papier trivial par lequel on se débarrasse de ses humeurs au sens du XVIIIe siècle et ce sont mes humeurs que je transcrits sur le médaillon ouatiné.

J’ai choisi ce papier très décoratif et luxueux  parce que  ce sont des choses doublement vaines pour l’usage destiné habituellement à ce papier.

En contradiction avec ce que j’écris.

Les carnets sont au nombre de douze, comme les douze mois de l’année.

 

Au bas de chaque représentation, je pose des galets blancs.

Ces galets sont des boulettes de tissus. Je les fabrique à partir de vêtements de couleur blanche qui ont été portés et c’est comme si je fabriquais des traces de deuil.

Ils symbolisent les cailloux que l’on pose, selon la tradition juive,  sur les tombes en signe de visite.

Ou encore peuvent évoquer les cailloux du Petit Poucet qui lui permettent de retrouver son chemin et d’être sauvé.

J’ai fabriqué 365 cailloux, un par jour, comme un rituel de deuil.

La couleur blanche est associée à l’absence, au manque.

C’est une couleur qui est associée à la fois au bébé et au vieillard, comme si le cycle de la vie commençait par le blanc et  finissait par le blanc.

Ce travail fonctionne beaucoup sur les doubles sens. C’est un travail à lire comme à regarder.

Puis j’ai  commencé à m’intéresser à ces petites pièces usées et destinées au pire à la poubelle, au mieux à des œuvres de charité. J’ai fixé sur des torchons - qui sont les accessoires de la femme d’intérieur parfaite- des pièces de vêtements, comme des choses égarées et j’associe un organe du corps humain que je brode.

 

Ces petites pièces de vêtements sont comme des mues et je les conserve, les valorise, les fait exister en brodant par analogie un organes du corps humain, comme une seconde peau. La broderie est une activité spécifiquement féminine liée au temps  et à l’attente. La broderie, travail lent et précis, est la métaphore d’une construction minutieuse de soi et du temps qui passe.

 

J’ai continué réfléchir sur la notion de perte et du deuil parfois difficile, voire impossible à effectuer. Ce n’était pas tant ce que j’avais perdu qui causait cette douleur mais ce que j’avais mis de moi dans l’objet perdu et que je n’avais pas encore récupéré.

J’ai abordé ma vie de femme mariée avec le projet initié par mon époux de la famille que nous construirions ensemble :«nous aurons trois enfants et nous adopterons le quatrième ».  Cela ne s’est jamais produit. Notre histoire s’est défaite  après notre premier enfant et je suis restée orpheline des enfants dont j’ai rêvé et que je n’ai jamais eus.

Le seul moyen trouvé pour réparer la perte de ces enfants qui n’ont pas pu exister est des les faire exister de façon symbolique qui souligne justement le fait que ce rêve a du être abandonné malgré moi.

J’ai brodé sur des vêtements d’enfants neufs (qui n’ont jamais servi) des phrases en arabe que mes parents répétaient souvent et qui sont des mots d’acception du sort, des épreuves de la vie. L’arabe est une langue que mes parents parlent parfaitement. C’était leur langue secrète pour ne pas être compris de leurs enfants. Et c’est une langue que je ne comprends pas.

 

Ces vêtements sont accrochés à une branche morte d’un arbre qui ne donne pas de fruit, un arbre stérile. Ils sont comme des « fruits

étranges ».

 

Il s’agit d’accepter les pertes successives que nous vivons, nous subissons et de trouver des stratagèmes pour sortir de la douleur, des stratégies pour remplacer cette perte par un gain.

Fantômes is an installation which I started developing in two thousand and three, composed of photographs, textile sculptures, pieces of embroidered handkerchiefs and clothes arranged in the space. Through this installation, I want to talk about the feeling of loss: the loss of illusions, the loss of self, grief for the fantasy of the ideal family, the disappearance of a loved one.

 

I photographed the clothes of my baby son and I added clothes which belonged to me as a little girl to the series. These white garments are like skins that have been shed, ghosts that speak about the passing of time.

 

I put the son and the mother on the same level.

 

Above each photograph, there is a title. These are plays on words and slips of the tongues.

 

Above the mother: a mere. This could mean ‘to mother’, or ‘bitter’, like a posthumous homage.

 

Above the child: l’infans. It sounds like enfance, or childhood, but means ‘that which does not speak’

I play with words and colours. The letters are grey and white. The grey refers to melancholy. The white infers to regeneration.

 

To talk about the third person that constitutes this phantom family, the absent one:

Im pair

One could hear un père, meaning ‘a father’, or the opposite of a father, impair, meaning ‘odd’.

As there is no image to represent him I placed a series of little notebooks made from toilet paper, quilted triple-thickness paper, in which I have listed all the little phrases I have recorded in my personal diary, as though they came from automatic writing, of which the thoughts go round in my head in an obsessional way. The phrases are written in lead (led) pencil that could be rubbed out with an ordinary eraser without leaving a trace on the paper. The grey colour evokes sadness, melancholy, ennui and old age.

 

The paper is at once a trivial paper on which one gets rid of one’s bad humours, in the eighteenth century sense of the word, and they are my humeurs, my moods, which I write on the quilted medallion.

I chose this very luxurious paper because these are doubly vain things for the use which is normally made of this paper, in contradiction with what I write. There are twelve notebooks, like the twelve months of the year.

 

Then I started interesting myself in these little worn-out pieces destined for the rubbish bin at worst, or a charity shop at best. I placed on tea towels, which are the accessories of a perfect domestic woman, pieces of clothing like lost items, and I combine with an organ of the human body which I embroider.

 

These little pieces of clothing are like skins which have been shed but I keep them, enhance them, make them exist by embroidering an organ of the human body as an analogy, like a second skin.

 

 

I dealt with my life as a married woman with the project my husband of the family we would build together: “we will have three children and we will adopt the fourth”. That never came about. Our story came undone after our first child and I remained an orphan of children I dreamt of and never had.

 

The only way I found to repair the loss of these children who could never exist is  to make them exist in a symbolic way which underlines the fact that this dream had to be abandoned in spite of myself.

 

I embroidered clothing for newborns (who never wore them) with phrases in Arabic which my parents often repeated and which became words of acceptance of fate, of the ordeals of life. Arabic is a language which my parents speak perfectly. It was their secret language in order not to be understood by their children. And it is a language which I do not understand.

 

These clothes are attached to a dead branch of a tree which bears no fruit, a sterile tree. They are like “strange fruit”.

 

It is about accepting the successive losses which we live through, which we suffer and find ways to escap their pain, ways to replace this loss by a gain.

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